Le conte qui va suivre, est le premier conte que j'ai écrit. C'est un conte pour enfant qui avait pour titre, la Carabistouille avant de devenir le Monstre
du Youdig; Je ne peux m'empêcher de vous narrer dans quelles conditions il fut créé, car ce fut l'origine de mon parcours d'écrivain conteur.
Président d'un syndicat d'initiative, j'avais organisé à l'attention d'une école, une sortie découverte nature qui devait se dérouler dans un petit bois jouxtant mon village.
J'attendais une petite vingtaine d'enfants en compagnie de l'animateur nature. Ce fut le triple qui arriva. La situation s'avéra rapidement ingérable. Quand l'animateur montrait une plante,
on entendait :
"Où elle est ? je la vois pas. Moi non plus !"
Forcément, soixante gosses déchaînés autour d'une malheureuse fleur de pissenlit...La sortie tournait court et il fallait rapidement trouver une solution.
Je décidais de séparer le groupe en deux un partant avec l'animateur pendant que j'occupais l'autre.... à .... Hé bien ! je vais vous raconter des Carabistouilles.
- C'est quoi, monsieur carabistouille ?
-Carabistouille ! c'est un monstre, un monstre terrrrible
Et j'échafaudais une histoire de dragon sans trop savoir où celà me menait.
Je connus ce jour là, mon heure de gloire et les enfants qui avaient échappé à mon histoire se la firent raconter par leurs camarades. Mais cette histoire ne s'arrêta pas là car , quelques
temps plus tard une personne me raconta qu'il y avait sur le bois de mon village une vieille légende qui racontait que ... Et il me conta mon histoire, certe ! un peu
modifiée, mais tous les éléments étaient là. J'ai réalisé à ce moment que les contes n'appartenaient
pas seulement au passé et je me suis mis écrire, à écrire et à conter... Il était une fois.
Il y a fort longtemps dans le Yeun Ellez, vivait un animal terrifiant. Le monstre du Youdig!
C'est ainsi qu'on le nommait. Haut comme une tour avec un corps de lézard pourvu d'ailes immenses, des griffes et des dents tranchantes comme des rasoirs. Imprévisible et rusé, il déjouait tous
les pièges et la population, terrorisée, n'osait plus s'aventurer dans les marais.
- Cela suffit ! Dit un jour le Seigneur de Plouménez et, s'adressant à ses concitoyens, il
déclara : "Braves gens, vous savez combien nous sommes impuissants devant la terrible menace que représente pour nous le monstre, aussi ai-je décidé
ceci : toute personne qui me ramènera la tête de l’animal se verra remettre mille écus d'or et je lui
donnerai ma fille unique en mariage.
Une forte rumeur s'éleva de la foule. Assurément, l'affaire était tentante. Gwenn, la fille
du chef, était ravissante et les courtisans ne manquaient pas ; de plus mille écus d'or constituaient une dot non négligeable.
- C'est moi qui tuerai la bête !
Celui qui avait crié s'avança, c'était Yann, le fils du forgeron, un gaillard à la chevelure
rousse et à l'air mauvais :
- Non, les écus et la fille seront pour moi, rétorqua Pêr, le fils du charpentier, un garçon
aussi grand que maigre dont les yeux noirs et perçants faisaient peur.
- Y a t'il d'autres volontaires ? demanda le Seigneur.
- Moi, répondit une petite voix, et l'on vit un frêle jeune homme fendre la foule et
s'avancer.
- Toi, Plume, tu prétends tuer le monstre ! Mais tu es haut comme trois pommes et un simple
coup de vent suffit pour te renverser.
- Certes, je ne suis pas bien grand, mais j'aime votre fille et pour elle j'affronterai la
bête.
- Soit, reprit le Seigneur. Si tu tiens tant à mourir, vas-y et que le meilleur gagne. Les
habitants se dispersèrent, laissant nos trois héros sur la place.
- Je vais de ce pas chercher la masse de mon père, dit le fils du forgeron, elle est du
meilleur acier et rien ne lui résiste, avec elle je vaincrai.
- Moi, je prendrai le ciseau le plus tranchant, dit le fils du charpentier, avec lui, je
percerai la peau du monstre. Et toi, Plume, as-tu une épée, une lance ?
- Non, je n'ai qu'un petit morceau de fromage, un mouchoir et mon
bâton.
- Diable ! Je suis sûr qu'avec tout cela la bête sera morte de peur en te voyant arriver.
Allez, joue bien petit, nous, nous avons un monstre à combattre.
Les deux compères éclatèrent de rire et se mirent en route. Plume haussa les épaules, mit
son bout de fromage dans son mouchoir, le noua au bout de son bâton et prit lui aussi la direction de la forêt.
Chemin faisant, Plume rencontra une
vieille femme en pleurs .
-Q’avez-vous donc à pleurer ainsi, ma bonne Dame
?
- Hélas, mon petit, voilà des jours que je n'ai rien à manger, et j'ai si faim
!
- Tenez !, dit Plume, je vous donne mon petit morceau de fromage. Je me
passerai bien d'un repas.
Plume venait à peine de finir sa phrase que la vieille femme se changea en une
superbe créature vêtue d'une longue robe couleur azur.
- Je suis la fée Eléphire, dit-elle. "Tu as la générosité d'un chevalier et je
veux t'en récompenser. »
La fée saisit une souris qui passait par- là et lui présenta le petit bout de
fromage que lui avait remis Plume. La souris n'y avait plutôt goûté qu'elle se mit à grossir et se transforma en un magnifique cheval blanc à la crinière noire.
- Prends le, dit la fée. Il te conduira sur les chemins du
bonheur.
La fée disparut dans un nuage de fumée, laissant Plume abasourdi. Non, il
n'avait pas rêvé, ce cheval en était la preuve. Il enfourcha l'animal et se remit en route.
A l'orée du bois, son attention fut attirée par des sifflements stridents : un
oisillon était tombé du nid et sa mère affolée voletait autour de lui.
-Pauvre petit, pensa Plume, s'il reste là, il va mourir. Il descendit de sa monture, prit l'oisillon, l'enveloppa dans son mouchoir et grimpa
à l'arbre immense où se trouvait le nid. Quand il déposa son précieux fardeau, il entendit une petite voix qui lui dit :
- Plume, tu as le courage d'un chevalier et pour te remercier d'avoir sauvé mon fils, je vais te faire un cadeau. Prends cet œuf d'or,
descends de l'arbre et frappe le trois fois sur le sol.
Plume fit ce que l'oiseau lui avait commandé et grande fut sa surprise quand
l'œuf se transforma en une magnifique armure d'or.
- Cette armure me protègera des griffes du monstre, se dit notre ami en
reprenant son chemin.
l n'avait pas fait cent mètres qu'un cri le fit sursauter. Un korrigan
insouciant venait de se faire prendre dans un piège à renard.
- N'aie pas peur, lui dit Plume, je vais te délivrer et, s'aidant de son
bâton, il écarta les lourdes mâchoires d'acier qui retenaient le lutin.
- Tu as la force d'un chevalier, dit le korrigan, et pour te remercier, car
j'ai quelques pouvoirs magiques, je transforme ton bâton en épée.
Plume le remercia et se remit en
route. En chemin il rencontra le fils du forgeron et celui du charpentier qui le saluèrent bien bas car, ainsi équipé, ils ne l'avaient pas reconnu.
La forêt devenait plus sombre, les marécages étaient proches et une odeur fétide flottait dans
l'air.
- Je dois approcher de la tanière de la bête, se dit Plume en ralentissant l'allure. Tout à coup, un cri
effroyable se fit entendre et, surgissant de nulle part, le monstre apparut dans toute son horreur. De son énorme gueule coulait une bave acide et brûlante, et ses yeux cruels semblaient lancer
des éclairs. Dans un fracas de branches brisées, la bête s'élança. Le cheval de Plume fit un écart, évitant ainsi la charge de l'animal. Notre héros brandit son épée et, d'un revers de lame,
trancha la tête du monstre. Le corps de celui-ci s'effondra sur Plume qui, sous la violence du choc, perdit connaissance. Le cheval redevint
souris, l'épée bâton et l'armure œuf. Souris et œuf prirent place dans le mouchoir noué sur le bâton.
Quelques temps plus tard, nos deux compères arrivèrent, découvrant avec surprise le corps
ensanglanté de la bête.
- Pêr ! Regarde, Le monstre est mort.
- Cela ne peut être que le seigneur que nous avons rencontré tout à l'heure, mais regarde !
Voici Plume inanimé.
- La bête l'a tué avant de périr sous les coups du chevalier.
- J'ai une idée, dit Yann, emparons-nous de la tête du monstre et partageons la
récompense.
- Emmenons aussi les affaires de Plume, nous les remettrons au
village.
Ce qui fut dit fut fait et, quand Plume reprit connaissance, il vit qu'armure, épée, cheval et tête de monstre avaient disparu, alors tristement,
il prit la route en songeant que Gwenn lui serait à jamais inaccessible.
Quand il arriva au village, la fête battait son plein. Debout sur une estrade, le fils du
charpentier plongeait avec avidité les mains dans un coffre rempli d'or. A ses côtés, le Seigneur s'apprêtait à unir sa fille en pleurs au fils du forgeron.
Lorsqu’elle le vit , Gwenn s'écria
- Plume ! Tu n'es donc point mort?
Plume ayant tout compris en voyant ses affaires et la tête de la bête posées sur l'estrade,
répondit
- Je ne suis pas mort et c'est moi qui ai tué le monstre.
La foule incrédule se mit à rire mais quelle ne fut sa stupeur lorsque, dans les mains de Plume, l'œuf redevint armure, bâton épée et souris cheval. Nos
deux brigands reconnurent en lui le chevalier qui avait vaincu la bête et demandèrent grâce. Gwenn épousa Plume et tous deux vécurent longtemps un véritable conte de
fées.